Management Package : Incidences des arrêts du Conseil d’Etat du 13 juillet 2021

6 septembre 2021

Désormais, le seul principe directeur sera d’analyser, au cas par cas, si l’avantage consenti au manager, « trouve essentiellement sa source dans l’exercice, par l’intéressé, de ses fonctions de dirigeant ou salarié » 

Le « Management Package » consiste, via différents mécanismes, à attribuer aux dirigeants et/ou salariés une quote-part du capital de leur entreprise, créant un intérêt financier et des objectifs communs entre les personnes concernées.

Par une trilogie d’arrêts rendus le 13 juillet 2021, le Conseil d’Etat vient préciser les modalités d’imposition des gains tirés de l’exploitation de certains dispositifs de « Management Package ».

Dans les cas d’espèces, les dispositifs mis en place en faveur de dirigeants étaient des conventions d’option d’achat d’actions (« Option ») ou de bulletins de souscription d’actions (« BSA ») (1) de la société.

A titre liminaire, relevons d’ores et déjà que, dans chacune des trois affaires soumises au Conseil d’Etat, l’analyse ne portait pas sur des titres conférant au porteur la qualité d’actionnaire/associé de la société émettrice.  En effet, les décisions du Conseil d’Etat portaient sur des cessions de BSA sans les avoir exercés, et sur une cession d’actions quasi simultanément à leur acquisition en exécution d’une promesse de vente.

Les enjeux

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la requalification fiscale en salaire des gains retirés par des salariés et dirigeants, lors de la cession d’actions acquises par l’exercice d’option d’achat et la cessions BSA.

L’enjeu des praticiens, en matière de management package, est en effet d’éviter l’application des dispositions des articles 79 et 82 du CGI, afin de soumettre les gains retirés par de tels mécanismes au régime des plus-values de cession de valeurs mobilières visée par l’article 150-0 A du CGI.

Rappelons que les articles 79 et 82 sont ainsi rédigés :

Article 79 : « Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l’impôt sur le revenu ».

Article 82 : « Pour la détermination des bases d’imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (…) ».

Alors que l’article 150-0 A du CGI soumet les plus-value de cession de valeurs mobilières réalisées par des particuliers à l’impôt sur le revenu au taux de 12,80 % (outre les prélèvements sociaux conduisant à une taxation globale forfaitaire au taux de 30%).

Les principes dégagés par le Conseil d’Etat

La pratique des dernières années, dans le cadre de l’établissement de plans de Management Package, s’était adaptée à la jurisprudence en tentant de placer les bénéficiaires de tels plans dans une situation la plus proche possible de celle d’un investisseur.

Ainsi, afin d’éviter la requalification des gains réalisés par les bénéficiaire en salaires, il s’agissait essentiellement de faire réaliser par le manager une réelle opération d’investissement, soumise aux aléas d’une opération capitalistique, tout en s’attachant à valoriser au juste prix l’instrument financier souscrit ou acquis pas le manager.

Désormais, le seul principe directeur sera d’analyser, au cas par cas, si l’avantage consenti au manager, « trouve essentiellement sa source dans l’exercice, par l’intéressé, de ses fonctions de dirigeant ou salarié ».

Si tel est le cas, l’avantage sera imposé dans la catégorie des traitements et salaires en application des dispositions des articles 79 et 82 du CGI.

A cet égard, le Conseil d’Etat juge que l’existence ou non d’un aléa pour le dirigeant ou le salarié n’est pas un critère suffisant : Dans l’arrêt n° 428506, le Conseil d’Etat précise que le simple fait que le bénéficiaire soit soumis à un aléa en « n’étant pas prémuni contre le risque d’une perte totale de son investissement » ne permet pas en soi d’écarter la qualification de traitements et salaires. Dans l’arrêt n°437498, le Conseil d’Etat précise à l’inverse que l’absence d’aléa n’implique pas en soi la qualification du gain en traitements et salaires.

Plus précisément, le Conseil d’Etat, suivant les conclusions du rapporteur publique (2), a dégagé des principes, selon que le gain retiré par le bénéficiaire, est réalisé :

– lors de l’entrée dans le dispositif de « management package » par l’acquisition du bon ou l’attribution de l’option d’achat ;
– lors de l’exercice de ces bons ou de la promesse de vente ;
– lors de la cession de ces bons (sans les avoir exercés)
– ou lors de la cession des actions issues de l’exercice des options d’achat.

L’hypothèse de la cession d’actions issues de l’exercice des BSA n’a pas été soumise au Conseil d’Etat ; toutefois, nous pensons pouvoir considérer que le raisonnement serait le même que celui appliqué à la cession d’actions issues de la levée d’une option d’achat.

Le sort des gains constatés lors de l’entrée dans le dispositif, par l’acquisition ou la souscription d’un BSA ou d’une option

Le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la qualification de l’avantage correspondant à la différence entre la valeur réelle du BSA (ou option) à la date à laquelle il est attribué et le prix de souscription du bon ou celui versé en contrepartie de l’option d’achat consentie.

Dans les 3 arrêts, le Conseil d’Etat affirme que :

« La circonstance que des options d’achat d’actions ou des bons de souscription d’actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle à la date de cette acquisition ou souscription est de nature à révéler l’existence d’un avantage à concurrence de la différence entre le prix ainsi acquitté et cette valeur.

Un tel avantage, lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exercice, par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou salarié a le caractère d’un avantage accordé en sus du salaire, imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI ».

Le Conseil d’Etat pose ainsi deux conditions cumulatives pour qualifier de salaire ce gain d’acquisition :

– Un prix préférentiel par rapport à sa valeur réelle (i)
Et trouvant essentiellement sa source dans l’exercice des fonctions de salarié ou de dirigeant (ii)

En effet, ce n’est pas en raison du faible risque pouvant remettre en cause la notion d’ « investissement », mais seulement à la double condition que le prix d’acquisition du bon soit préférentiel et que cet avantage trouve sa cause dans les fonctions du manager, que ce dernier pourra être imposé en vertu de l’article 82 du CGI.

i) La détermination du prix préférentiel et l’intérêt désormais limité de l’expertise sur le prix de souscription des bons ou options

Bien que les arrêts ne l’aient pas précisé, le rapporteur général, aux termes de ses conclusions, préconise de « se placer à la date d’acquisition des bons par le salarié, [de] rechercher le prix auquel un acquéreur, instruit des méthodes Black & Scholes et Montecarlo reconnues par la place, aurait, un tel marché eût-il existé, été prêt à acquérir ce titre à la date de son émission, et à regarder ce prix comme reflétant la valeur vénale réelle du bon pour les besoins de l’évaluation de l’avantage retiré par le dirigeant des conditions d’attribution du bon. Un écart significatif entre la valeur de marché théorique ainsi obtenue et le prix versé par l’intéressé serait constitutif d’un avantage consenti par l’émettrice au souscripteur. »

La pratique actuelle consiste à faire procéder, par un expert, à l’évaluation des titres ou des droits attribués ou souscrits par le manager afin que ce dernier en paie le juste prix. La valeur ainsi retenue prend en compte les conditions et avantages de l’acquisition et la détention ultérieure des titres sous-jacents.

Cette pratique avait jusque-là pour objectif d’assimiler le manager aux autres investisseurs par la réalisation d’un investissement au « juste prix ».

L’expertise du prix de souscription des BSA, actions de préférence, option d’achat … aura désormais pour finalité de supprimer le risque de requalification en salaire de la seule différence entre la valeur réelle du titre à la date de son acquisition et son prix d’acquisition. Ce qui semble désormais limiter l’intérêt d’une telle expertise.

En effet, s’agissant des autres gains (gain d’acquisition correspondant à la différence entre le prix d’exercice du BSA ou de l’option et la valeur de l’action à la date d’exercice, et gain de cession égal à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition du titre), une fois ces gains déterminés (ce qui ne dépend pas de l’expertise portant sur la valeur du BSA ou de l’option), leur requalification en salaire ne dépendra pas  d’un éventuel prix préférentiel ou d’un aléa. Le Conseil d’Etat énonce en effet désormais comme principe que : « Le caractère préférentiel de ce prix [le prix de souscription ou d’acquisition du bon ou de l’option] est en revanche sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l’exercice de ces options ou bons, lors de la cession des titres ainsi acquis ou lors de la cession des bons »

ii) La justification d’un prix préférentiel par l’exercice des fonctions de salarié ou de dirigeant

Il s’agira alors d’une appréciation de fait, laissée à la libre souveraineté des juges du fonds.
Les arrêts du Conseil d’Etat n’apportent pas de précision particulière sur cette notion.

iii) S’agissant de la date d’imposition

Le Conseil d’Etat précise que, si les conditions ci-dessus énoncées sont réunies, ce gain d’acquisition doit être imposé au titre de « l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du CGI ».

A défaut d’être spontanément déclaré et imposé, le droit de reprise de l’administration courra donc à compter de la date d’acquisition des bons ou options. Or, à cette date, l’administration ne dispose pas facilement de l’information relative à l’émission de bons ou d’options.

Le sort des gains constatés lors de l’exercice des BSA ou des options d’achat

Il s’agit là d’analyser la nature du gain correspondant à la différence entre le prix de souscription ou d’achat de l’action, par exercice du BSA ou de l’option, et la valeur réelle de l’action à cette date.

Le raisonnement est alors similaire à celui applicable au gain d’acquisition visé ci-dessus.

Toutefois, par principe et définition, le bon ou l’option n’est exercé que s’il existe effectivement une différence positive entre la valeur réelle à la date d’exercice et le prix d’exercice. Par conséquent la notion de « prix préférentiel d’exercice du BSA ou de l’option » est inhérente à la nature même du BSA ou de l’option d’achat.

Cette première condition étant par nature acquise, la deuxième condition est rédigée dans des termes identiques à ceux concernant le gain d’acquisition égal à la différence entre  la valeur réelle et le prix de souscription ou d’achat du BSA ou de l’option.

Ici encore, le Conseil d’Etat précise que la différence entre « la valeur réelle des actions à la date de levée de l’option et leur prix d’achat [ou de souscription] … constitue un gain réalisé dès la levée de l’option, qui, lorsqu’il trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de fonction de dirigeant ou de salarié, est un avantage en argent au sens de l’article 82 du CGI et donc imposable dans la catégorie des traitements et salaires ».

Par conséquent, la souscription du BSA ou le paiement de l’option « à leur juste prix », de même que l’existence d’un aléa ou d’un risque lors de cette souscription, sont inopérants. Seul compte le fait que l’avantage trouve sa source dans les fonctions de direction ou de salarié.

Si mécaniquement et mathématiquement le gain est constaté, alors seul le lien entre cet avantage et les fonctions du manager devra être analysé par les juges du fond.

Dans la pratique, les BSA ou option ne sont exercés que très peu de temps avant la cession des titres sous-jacents, limitant ainsi l’impact en termes de trésorerie pour le manager.

Le Conseil d’Etat, dans l’affaire objet de l’arrêt n°428506, a relevé que, « lorsque l’action est cédée dans des délais tels que sa valeur réelle n’a pas évolué depuis la levée de l’option, l’administration est fondée à imposer l’intégralité de l’écart entre le prix de cession et le prix d’achat … dans la catégorie des traitements et salaires », [si toutefois la source du gain est bien le contrat de travail] .

Le sort du gain de cession égal à la différence entre le prix de vente et le prix d’acquisition

Le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur la cession de BSA avant leur exercice (deux des trois affaires), et sur la cession d’actions issues de la levée d’option d’achat très peu de temps avant leur vente.

Le Conseil d’Etat rappelle que, par principe, ce gain est imposé suivant le régime des plus-value de cession de valeur mobilière des particuliers institué par l’article 150-0 A du CGI.

Le Conseil d’Etat précise néanmoins que : « Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du code général des impôt, réalisé et disponible l’année de la cession de ces bons. La qualification de gain en capital imposable selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières doit, en particulier, être écartée lorsque l’intéressé a bénéficié d’un mécanisme lui garantissant, dès l’origine ou ultérieurement, le prix de cession de ces bons dans des conditions constituant une contrepartie de l’exercice de ses fonctions de dirigeant ou de salarié. »

Dans l’affaire objet de l’arrêt numéro 437498, le Conseil d’Etat a jugé que la cour d’appel a commis une erreur de droit en considérant que la garantie du prix minimum de revente des BSA détenus par le Manager et la circonstance que ce dernier avait pour mission d’engager une mission de restructuration et de redressement du groupe, suffisaient à qualifier le gain de salaire.

A l’inverse, dans l’arrêt numéro 435452, le Conseil d’Etat a relevé que le gain avait la nature d’un « versement à caractère incitatif, par lequel les actionnaires ont décidé de rétribuer ensemble l’exercice effectif des fonctions de manager par M. T et les résultats et performance ayant résulté de cet engagement professionnel ».

Il ressortait en effet des pièces du dossier que :

– T… était désigné par un rapport du comité d’investissement comme le futur « manager de reprise » du groupe, devant exercer les fonctions de Président Directeur Général de la structure et dont les modalités d’intéressement restaient encore « à affiner sur la base des formules habituelles »,
– le pacte d’actionnaires déterminait :
– les modalités d’exercice de ses fonctions par l’intéressé et ses obligations envers la société,
– les conditions d’incessibilité temporaire des titres qu’il détenait,
– lui imposait une obligation de « loyauté – exclusivité » envers les sociétés du groupe,
– lui fixait un engagement de non-concurrence en sa qualité d’actionnaire ou de vendeur de titres liés aux activités du groupe,
– et comportait une promesse de vente et d’achat de ses titres en cas de décès, départ ou de violation de ses engagements pour un montant global de un euro, ainsi qu’une promesse unilatérale d’achat des investisseurs.

– le contrat de souscription des BSA faisait dépendre tant la faculté d’exercer les bons que le nombre de ces derniers, en premier lieu, de l’obtention d’un taux de rendement interne (TRI) minimum à l’issue de l’opération de rachat de la société par un repreneur, en second lieu, de la réalisation par les investisseurs d’un multiple supérieur à 2 lors de la revente de leurs titres et ce afin, selon les termes du contrat de souscription de ces bons, d’opérer une « rétrocession » au Manager d’une « super plus-value »,
– le manager s’engageait à ne pas céder les bons en dehors des cas limitativement prévus par le pacte d’actionnaires,
–  le manager était le seul bénéficiaire du contrat de souscription des BSA,
– le manager avait été recruté comme directeur du développement, chargé
de la définition et de la mise en œuvre de la politique de développement de l’entreprise

Comment la pratique peut-elle s’adapter à cette évolution jurisprudentielle ?

Comme le conclut le rapporteur général aux termes de son rapport, « ne nous leurrons pas :  dès demain, les contribuables et leurs conseils auront inventé d’autres instruments de motivation pour tirer parti des règles posées par le Conseil d’Etat ».

Nous l’avons vu, le classique rapport d’expert sur la valeur des titres émis intégrant celle du sous-jacent, est désormais d’un intérêt limité.

Une première règle de prudence pourrait être d’attribuer aux managers des titres conférant directement et immédiatement accès au capital social, à l’inverse des BSA ou des options. Même si l’aléa alors inhérent à la qualité d’actionnaire n’est plus un critère empêchant la requalification, il n’en demeure pas moins que l’attribution d’une quote-part du capital peut plus difficilement être reconnue comme une contrepartie du contrat de travail ou des fonctions de direction.

Il s’agira alors de justifier avec attention les éventuels droits préférentiels ou bons de souscription attachés aux actions.

Une attention particulière devra être attachée aux règles de leaver prévoyant la cession obligatoire ou possible de leurs titres par les managers en cas de rupture du contrat de travail ou du mandat social, dans des conditions différentes selon les circonstances de la rupture.

 

[1] Rappel de la définition et des caractéristiques des BSA reprises par Madame Emilie BOKDAM-TOGNETTI, Rapporteuse publique :« Les BSA « secs » ne constituent pas des titres de capital, mais des titres donnant accès au capital, pouvant être émis par les sociétés par actions dans les conditions prévues aux articles L. 228-93 et suivants du code de commerce, après autorisation de l’assemblée générale extraordinaire et sur rapport spécial du commissaire aux comptes. Des BSA peuvent également être émis par une société d’un groupe mais porter sur des actions qui seront, elles, émises par une autre société du même groupe.  Le détenteur de tels bons n’est pas, du fait de cette détention, actionnaire et n’est pas engagé à le devenir : il ne le devient qu’en cas d’exercice du droit de souscription conféré par les bons pour un prix d’exercice déterminé (ne pouvant en tout état de cause être inférieur à la valeur nominale de l’action), dans des périodes et avant une échéance données, le cas échéant sous réserve de la satisfaction de conditions diverses. L’émission de ces bons s’apparente ainsi à une augmentation de capital non seulement différée, mais encore conditionnée à la volonté des titulaires des bons d’exercer ou non leur droit de souscription. L’émission peut être gratuite ou s’effectuer à titre  onéreux, moyennant le versement par le souscripteur du bon primaire d’un prix d’émission, fixé dans le contrat d’émission des bons. Quand ils sont attribués gratuitement à tous les actionnaires, les BSA s’apparentent à un succédané de droit préférentiel de souscription ».
[2] Madame Emilie BOKDAM-TOGNETTI